vendredi 5 octobre 2007

Les contes







Mythes Karaja

1) mythe de l'origine du peuple karaja

" En ce temps-là les Karaja vivaient au fond du grand fleuve (Araguaia). Un homme venait d'être père; il lui fallait manger du miel. Il partit en chercher. Il entendit alors le cri de la seriema 1). Il alla dans sa direction. Alors il vit un trou et sortit. Dehors, il découvrit un monde immense avec de grandes plages et de nombreux arbres. Il mangea du miel et des fruits délicieux. Il en rapporta pour sa famille qui l'attendait inquiète de ne pas le voir revenir. Tout le monde goûta de ces fruits et décida d'aller dans cet autre monde. Wobedu sortit le premier avec sa famille. Kaboi fut le dernier mais resta bloqué dans le trou à cause de son gros ventre. Il ne pouvait pas sortir. Alors il regarda autour de lui et vit des arbres morts, du bois sec. Il dit à ses proches : "ce monde n'est pas bon, il y a la mort; retournons chez nous". Une partie de notre peuple est donc restée au fond des eaux. Ils nous appellent les habitants du dehors. "

Le même mythe me fut conté dans l'aldéia Tytema par Luis Macuaré Karaja avec de légères variantes. Il tenait sa version de ses parents. C'est une vieille femme sage,Raradjutseu, et non Kaboi qui vit les arbres morts et recommanda de ne pas s'installer sur terre. Elle y retourna tout de suite en annonçant que ceux qui voudraient revenir plus tard trouveraient la porte fermée, et c'est ce qui s'est passé. Dans la variante, le cacique s'appelle Wohubedo. En allant chercher du miel à l'occasion de la naissance de son premier enfant, il a oublié de faire une prière pour demander chance et protection contre les autres animaux et demander pardon pour les animaux qu'il serait amené à tuer. Du coup il a perdu son chemin. Il a entendu le chant de la siriema et l'a suivi. Il est sorti du fleuve et s'est mis à chercher les abeilles. Dasn son monde sub-aquatique, elles étaient par terre. Les abeilles l'ont entendu et l'ont appelé. Devant le cacique se tenait une jeune femme qui lui expliqua qu'elle fournissait le miel. Elle l'accompagna chez lui avec du miel et quatre sortes de fruits sauvages. Il réunit la communauté pour leur expliquer et obtenir leur consentement pour migrer dans ce nouveau pays où ils ont connu des luttes et la mort mais ils ont aussi inventé des fêtes et des rites établis par essais successifs. Le feu leur a été donné par la poule d'eau, les plantes par la grande étoile du ciel pour l'abattis (manioc, canne à sucre, courge, banane, maÏs, patate) car avant il n'y avait pas ces plantes sur terre.


Ce mythe est exposé par Nathalie Petesch dans sa thèse sur les Karaja (1999). Elle le commente ainsi :
"Au commencement du monde, les Karaja vivaient donc dans les profondeurs du grand fleuve Araguaia, jusqu'au jour où ces Inà aquatiques découvrirent le passage menant à la surface de la terre. Emerceillés par la beauté et l'abondance de cette dernière, la plupart de ces bero hati mahadu (fleuve-fond-habitants) décidèrent de mener désormais une existence terrestre et devinrent des Inà tyhy, Karaja véritables, ou bede mahadu (terre-habitants). Seuls Kaboi et les siens constatèrent, sans le vouloir, que les Karaja avaient, ce faisant, troqué l'immortalité contre l'espace et l'abondance. Ils perpétuèrent ainsi l'existence des Inà aquatiques, alors que leurs frères terrestres étaient devenus mortels. Durant quelque temps, les Karaja de la terre vécurent en compagnie de diverses entités surnaturelles et héros transformateurs, qui leur donnèrent les moyens d'exploiter leur nouveau territoire (acquisition de la lumière, des plantes cultivées, de la pirogue, des outils agricoles, du feu, ainsi que de divers mythes l'illustreront ci-après). Mais le manque de respect montré à l'égard des bienfaiteurs (demande d'un plat d'excréments et refus de le consommer) entraîna la séparation entre le niveau terrestre et le niveau céleste, où s'installèrent de façon définitive les biu mahadu (pluie-habitants) parmi lesquels le principal héros mythique Kanaxiwe et le "grand chamane" Xibure.

Le thème d'une existence initiale bienheureuse entre les humains terrestres et les futurs êtres célestes, rompue par une faute humaine entraînant l'obligation pour les hommes de travailler pour survivre, est récurrent dans la mythologie des basses terres d'Amérique du Sud. Mais souvent, comme chez les Bororo et certains groupes tupi, la rupture est due à une faute féminine.

Ce mouvement ascensionnel du fond des eaux au ciel, ponctué de deux ruptures, a déterminé la constitution de trois niveaux cosmiques éparés, tous trois peuplés de Karaja (ou considéés comme tems) qui se sont différenciés, tout en maintenant un système d'échanges équilibré;

(...)

Usage d'une même langue, de mêmes ornements corporels, d'un même schéma spatial communautaire; en apparence, rien ne semble distinguer les Karaja aquatiques de leurs parents terrestres, si ce n'est des conditions de vie différentes. Le monde inférieur est conçu comme un espace clos, où règnent l'immortalité et une relative inactivité. Eternel, l'Inà aquatique éprouve toutefois le besoin de se reproduire, ce qui semble limiter progressivement l'espace alloué à chaque individu. Pas de conflit de territoire néanmoins, en l'absence d'activité à but alimentaire. La nourriture est servie à la demande, cuite (bouillie) et en très petites quantités.

Les bero hati mahadu, habitants du fond des eaux, ne sont pas des prédateurs mais des possesseurs. Ce sont les maîtres (wedu) de la faune aquatique - poissons, chéloniens, mammifères et reptiles - dont ils régulent la consommation, en ce qui concerne les deux premières catégories, par leurs parents terrestres. Toute prédation sans avis préalable, toute ponction abusive sur un espace aquatique donné, tout abandon de chair animale non consommée, enfin toute exploitation de la faune aquatique non rétribuéee antérieurement ou ultérieurement par une compensation en nourriture cuite dans un contexte rituel, entraîne, suivant la gravité de l'infraction, la maladie ou la mort. Ces conditions étant respectées, les Inà aquatiques aident leurs congénères terrestres dans leurs activités halieutiques.

Anthropomorphes au fond des eaux, les Inà aquatiques peuvent prendre l'apparence de poissons ou de mammifères de grandes taille à la surface. Leurs principaux avatars sont le dauphin blanc ( Inia geoffroyensis) et le poisson pirarucu (Arapaima gigas). La première espèce n'est pas consommée à cause de sa nature doublement humaine, qui se manifeste par des mamelles féminines et une enveloppe corporelle faite non pas d'écailles mais de peau (tyy). Le dauphin est en effet à la fois Inà aquatique et ex-Inà terrestre, par suite d'une métamorphoses opérée jadis dans un contexte cérémoniel (..). Sous son aspect de delphinidé, le bero hati mahadu aide le bede mahadu dans sa quêtre halieutique, en lui indiquant les bancs de poissons. Sous forme de piarucus, les Karaja aquatiques alimentent de leur propre chair leurs parents terrestres. En fonction de l'Inà aquatique ichtyomorphisé, la chair de l'animal varie dans sa couleur, sa consistance et sa digestibilité. La pêche traditionnelle au pirarucu est de ce fait très valorisée, puisqu'elle consiste à lutter au cors à cors avec cet avatar d'humain, avant de l'achever à coups de massue.

(...) Les Karaja distinguent trois grandes catégories d'animaux aquatiques : les utura, "poissons" (avec ou sans écailles, ovipares ou vivipares puisqu'incluant le dauphin), les bero irodu, animaux de l'eau (en opposition aux bede irodù animaux de la terre, ou mammifères terrestres), désignant les tortues aquatiques, et les bero aoni, monstres de l'eau, regroupant tous les animaux qui s'attaquent à l'homme, du reptile au poisson carnivore, tel le redoutable piranha (Serrasalmus sp.). Bien qu'également possédés par les Inà aquatiques, ces trois catégories de faune aquatique ne se situent pas dans un même rapport de dépendance vis-à-vis de leurs maîtres. L'utura ou poisson, constitue le double animal de l'habitant du fond des eaux et lui fournit, parmi les espèces les plus grandes (dauphin, pirarucu) ses principaux avatars. La tortue aquatique (otu) est son animal familier (noho) avec lequel il cohabite et qu'il peut même utiliser, selon certains informateurs, comme siège ou appui-tête pour dormir. Enfin le monstre aquatique est son bras punitif, exécutant la sanction de mort en cas de faute grave commise par un Karaja terrestre.

L'approvisionnement en nourriture carnée n'est pas la seule fonction assumée par les Karaja du monde inférieur auprès de leur famille terrestre. Leur primitivité et leur pérennité les rendent en effet garants de la conservation d'un savoir socio-culturel spécifiquement inà, qu'ils réinjectent régulièrement chez les Karaja de la terre dans un contexte cérémoniel. Des connaissances générales destinées à la collectivité, portant principalement sur les règles sociales et les relations avec le monde naturel, sont ainsi rappelées sur un mode rythmique, lors des performances rituelles de leurs représentations masquées, alors qu'un savoir plus ésotérique est habiituellement transmis par pénétration spirituelle dans le corps d'un Inà terrestre qui, s'il y survit, adopte la carrière chamanique, en tant que spécialiste et médiateur de ce monde aquatique."

2) Légende du Boto (dauphin)

Les femmes de l'aldéia allaient toujours ensemble à la rivière et le soir, elles ne s'intéressaient pas à leur mari qui s'en sont inquiétés et ont cherché à en connaître la raison. En fait, elles allaient à la rivière, appelaient le caïman qui sortait de l'eau et leur apportait plein de poissons. Elles le préparaient avec plein de fruits de la forêt. Ensuite le caïman s'étendait pour dormir en s'appuyant sur les femmes. Puis, il faisait l'amour avec chacune d'elles. Bien sûr, hors de l'eau, le caïman devenait un bel homme.

Le cacique, inquiet, demanda à un enfant d'aller suivre sa mère pour voir ce qui se passait. Comme elle refusait, il lui dit : si je ne peux pas venir avec toi, je te tuerais avec mon arc". Elle a donc accepté de l'emmener et il a tout vu mais elle lui a fait promettre de ne rien dire. Il a promis. Mais son oncle lui a demandé de raconter et de venir le raconter près de la case Aruana (maison des hommes au-dessus de dix ans). Son père ne voulait pas car l'enfant était trop jeune. Le garçon l'a à son tour menacé de le tuer. Il a donc accepté à condition qu'il reste devant la case. Et il a raconté.

Les hommes décidèrent d'éliminer le caïman. Ils ont rusé. Le garçonnet a imité le cri des femmes pour appeler le caïman. Il est venu. Comme dans le temps hommes et femmes avaient les cheveux longs, le caïman ne fit pas de difficulté. Ils ont mangé les poissons et les fruits. Puis le caïman s'est endormi sur les hommes qui l'ont tué. Ils ont fait manger sa chair par les femmes. Elles furent furieuses en l'apprenant et commencèrent à lutter avec les hommes. Les hommes avec la pointe des flèches retournées, les femmes avec les pointes en avant. Beaucoup d'hommes sont morts et les femmes sont parties en annonçant qu'elles quittaient les hommes pour devenir dauphin. Depuis ce jour, les hommes ne tuent ni ne mangent les dauphins.

Mythe recueilli auprès de Luis Macuaré Karaja de l'aldéia Tytema en mars 1999.

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